Après deux mandats comme déléguée syndicale CFDT chez Engie, Aurore Martin, très engagée dans la cause féministe, a pris une nouvelle orientation. Son engagement auprès des migrants est devenue un métier depuis qu'elle a décroché son diplôme lui permettant d'enseigner le français aux étrangers. Portrait et interview vidéo.
Les derniers résultats de l'index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes publiés par le gouvernement le 8 mars ? Aurore Martin ne les a pas regardés, elle qui a pourtant été déléguée syndicale CFDT chez Engie pendant deux mandats, elle qui a créé un réseau féministe au sein de la branche des IEG, les industries électriques et gazières, CFDT’Elles (lire notre article). "Pourquoi ? Parce que je sais déjà que c’est du pipeau, lâche-t-elle tout de go. J’ai suffisamment travaillé dessus dans le secteur des IEG pour savoir que la construction du descriptif des emplois est bourrée de biais de genre. Que peut-il en ressortir ?" souffle-t-elle. Voilà donc l’index rhabillé pour la fin de l’hiver !

L’autre raison, c’est qu’Aurore Martin est passée à autre chose, comme elle l'explique ci-dessus dans notre vidéo. Elle n’a pas souhaité faire un troisième mandat de déléguée syndicale, d’autant qu’avec les restructurations et la diminution des emplois dans l’entreprise, mieux valait, dit-elle, céder la place dans un contexte de réduction de plus de 20% du nombre de délégués syndicaux car elle s'estimait "réintégrable".
De fait, Aurore Martin s’est choisie un nouvel investissement professionnel. Elle a passé l’année 2020 à travailler dur dans sa maison de Seine-et-Marne pour préparer, via le Cned (centre national d'enseignement à distance), le diplôme permettant d’enseigner le français langue étrangère. Lever à 5h du matin, footing, puis bachotage : la militante n’a pas pris ça à la légère. Bien lui en a pris d’ailleurs, car l’ex-DS a été surprise par l’extrême rigueur de ce qu’il lui fallait assimiler (grammaire, phonétique, didactique, lexique, maîtriser les barèmes de niveaux en français, etc.). Elle n'en revient pas encore, d'ailleurs, de la "rigidité" de l’examen passé le 9 décembre 2020 à l’alliance française : "Il fallait absolument respecter un code couleurs avec les stylos pour répondre !".
Malgré la difficulté que représente la reprise d’étude à 58 ans, l’ancienne syndicaliste, qui a été secrétaire de direction et maîtrise plusieurs langues ("j’ai une maîtrise langues étrangères, je parle anglais, espagnol, italien, j’ai des notions d’arabe") a décroché son diplôme. Un "rêve de petite fille" confesse-t-elle : "Je rêvais d’aller alphabétiser en Amérique latine".
Dans un pays, la France, qui impose souvent un délai de plusieurs années à un migrant -quand il n'est pas expulsé- pour l’obtention de ses papiers, c’est à Paris qu’elle exerce sa nouvelle activité. Ici, le monde vient à elle. "C’est une grande ouverture pour moi, beaucoup de rires partagés, aussi. J’ai appris énormément de ces réfugiés sur des pays comme l’Irak, l’Afghanistan ou le Koweit. Vous saviez ce que ce sont les Bidounes, vous ?" demande-t-elle (1) en s’offusquant de la méconnaissance générale sur ces réfugiés : "On me demande parfois si je n’ai pas peur avec la Covid. Mais si vous saviez comme les Soudanais, par exemple, sont irréprochables sur l’hygiène. Ils prennent plus de précaution que nous !"

Aurore Martin est frappée par la ténacité des migrants, souvent arrivés en France au bout d’un long périple du fait de la règlementation de Dubin (2). Un parcours du combattant souvent dramatique, au terme duquel ils ont appris plusieurs langues ("Les Afghans parlent souvent grec, allemand, turc, car ils ont traversé ces pays"). La France est d'ailleurs une destination choisie comme sur un coup de dés : "Un homme issu d'un camp du Darfour (Soudan) m’a dit qu’il était venu en France parce que les médecins humanitaires du camp étaient «gentils »".
La maltraitance subie en France par ces réfugiés du fait de l'Etat (tracasseries administratives, par exemple), elle tente de l’atténuer un peu : "Je crois que mon engagement vient de cette idée qu’il faut leur présenter une autre image de la France, leur montrer qu'il y a des Français qui, comme moi, voient l'étranger comme une richesse. Et puis, j'ai des enfants, si c'étaient eux les réfugiés, j'aimerais qu'ils soient bien accueillis". Et Aurore Martin d'ajouter qu'un chiffre l'a frappé dans une étude sur les migrants : "Seuls 28% d'entre eux ont des contacts avec des Français qui n'étaient pas rémunérés pour s'entretenir avec eux. On leur demande de parler Français, de s'intégrer, mais s'ils n'ont pas l'occasion de le faire, comment peuvent-ils y parvenir ?"
D’où lui vient cette générosité, cet intérêt pour l’autre ? La réponse paraît évidente. Aurore Martin a toujours baigné "dans une ambiance multiculturelle", elle a travaillé à Djibouti, où elle a enseigné l’anglais à la chambre de commerce. Son mari est originaire de Somalie, et leurs enfants sont métis. Sans attendre son diplôme, elle a commencé à enseigner le français à des étrangers. "Dès que je me suis sentie prête, en septembre 2020, j’y suis allée", dit-elle, sachant qu’elle était déjà bénévole auprès des réfugiés depuis 2016, lorsque la CFDT a noué un partenariat avec l'association France Terre d’Asile afin que des militants syndicaux parrainent ou marrainent un réfugié.

A l’époque, Aurore Martin a accompagné pendant 6 mois l'intégration d’un jeune migrant. De fil en aiguille, l’investissement s’est fait plus intense, elle a même suivi des formations auprès de psychiatres dans des centres qui gèrent les traumatismes psychologiques qui affectent souvent des personnes venant de pays en guerre.
Cette approche psychologique, dit-elle, lui a aussi beaucoup servi dans ses mandats syndicaux. Mais pas seulement : "J’ai dû intervenir pour faire hospitaliser le migrant d'un foyer atteint de tuberculose (...) J'ai aussi apporté des médicaments sur les campements de Stalingrad". Plus récemment, sans le crier sur les toits, elle a eu le culot d’écrire à Brigitte Macron pour lui demander d’intervenir en faveur d’un homosexuel irakien coincé en Turquie depuis 4 ans, avec lequel elle échangeait sur Facebook . "Quinze jours après, il a été contacté par le consulat d'Ankara et 4 mois plus tard, il arrivait en France", résume-t-elle.
Depuis 2020, donc, Aurore Martin œuvre au sein d’une association (Français langue d'accueil) où elle côtoie de nombreux étudiants et retraités bénévoles, ces derniers manquant parfois à l'appel du fait de la crise sanitaire. Cette association lui a été conseillée par le directeur général d’Engie en charge des ressources humaines, également président du CCE et vice-président du comité de groupe. "Lors d’un comité, j’étais allée le voir pour l’informer, par correction, que j’allais quitter mon mandatement syndical. Il m’a demandé ce que je voulais faire. Je lui ai répondu "français pour les étrangers" et c’est là qu’il m’a félicité en me citant cette association".

Sa rémunération est toujours prise en charge par Engie, qui dispose d’un accord sur le droit syndical afin de favoriser les reclassements et reconversions après les mandats. "Mon entreprise a joué le jeu, je n'ai vraiment rien à redire là-dessus", reconnaît Aurore Matin, 30 ans d’ancienneté. Pour autant, elle n’a pas lâché tout contact avec l’entreprise. Elle garde ses "mandats RSE" (responsabilité sociale et environnementale) : elle est toujours représentante des salariés au conseil d'administration de la fondation Engie, au comité de sélection de cette fondation, au comex de la fondation agir pour l'emploi d'Engie, et au comité de sélection de cette fondation.
Et elle ne renie rien du syndicalisme, où elle s'est investie par "conviction" après avoir été assistante de direction de la lobbyiste d'Engie. "Entre le lobbying et le syndicalisme, ce ne sont pas les mêmes intérêts qu'on défend !" plaisante-t-elle.

Un mandat syndical ou d’élu du personnel, "ça vous apprend à vous décentrer, à écouter, à gérer ses émotions et celles des autres, car comme DS vous servez aussi parfois de psychologue et d'assistance sociale aux salariés. Cela vous apprend à rester dans le champ de la raison pour analyser une situation. Cela vous apprend à négocier, à convaincre, à transiger, à faire des compromis et à les expliquer auprès des salariés", résume celle qui dit surtout "aimer apprendre".
Rien en revanche qui l’horripile autant que de s’entendre dire : "Tu as changé de voie ? Quelle chance tu as !". Car pour Aurore Martin, tout est d’abord affaire de volonté et de tempérament. Le sien, il est vrai, paraît bien trempé, même si le fait de travailler dans une grande entreprise, quoi qu'elle en dise, a sans doute facilité sa reconversion. Mais rien ne serait arrivé si elle ne s’était pas, en 2011, engagée dans le syndicalisme, puis si elle n’avait pas été bénévole auprès des migrants. A ceux qui s’interrogent sur le futur de leur vie professionnelle après un mandat de représentant du personnel, elle dit : "N'hésitez pas, suivez votre instinct, sautez de la falaise !"
(1) En arabe, les "bidounes" désignent des personnes sans nationalité, souvent nomades. Une forte communauté bidoune vit au Koweït sans disposer des droits civiques et politiques.
(2 ) Les "dublinés" sont les étrangers demandeurs d’asile qui font l’objet d’une procédure selon le règlement 604/2013/UE du 26 juin 2013 dit Dublin (lire les explications de la Cimade)
► Sur la reconversion des élus du personnel et sur la reconnaissance des compétences acquises pendant le mandat, lire notamment nos articles sur les dispositfs existants et les témoignages d'élus :
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Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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